Maître Murakami

Henry PLEE a demandé à la Fédération japonaise de karaté d’envoyer un expert en France pour développer cet art martial. C’est ainsi que Maître MURAKAMI a débarqué à Paris en 1957 et a été le premier professeur de karaté, méthode shotokan, en France. Il était à cette période ceinture noire 2è dan de combat. Il faut noter que dans l’enseignement japonais de l’époque, il fallait être ceinture noire et avoir acquis une solide base technique avant de pouvoir faire des combats.

La légende dit que Maître MURAKAMI a été formé pour être un kamikaze et que la guerre s’est arrêtée avant qu’il ne monte dans un avion. Pour ceux qui l’ont connu et approché durant les années 1960-1970, on serait tenté de croire à cette légende tant l’esprit japonais habitait le Maître.

Pour comprendre le Maître, il faut savoir qu’il se considérait avant tout comme un Japonais, qu’il pensait comme un Japonais, qu’il vivait comme un Japonais, qu’il enseignait son art comme un Japonais, qu’il réagissait comme un Japonais et ce conformément aux règles d’honneur, de respect de la hiérarchie qui régissaient la société japonaise. Le Maître était envoyé par le Japon pour développer le karaté en France, il devait rendre compte de son travail aux responsables japonais et à personne d’autre. C’est l’une des raisons pour lesquelles pendant de nombreuses années, l’école du Maître n’a pas été reconnue par la Fédération Française de Karaté, mais je reviendrai ultérieurement sur ce sujet.

l’a donc appliqué à ses élèves la méthode d’enseignement qu’il avait lui-même reçu. C’est pourquoi quelques élèves n’ont pas compris et/ou mal supporté son enseignement et son côté «brutal». Le problème, c’est que les élèves européens ne sont pas habitués à être réprimandés voire à recevoir des claques lorsqu’ils n’exécutent pas correctement une technique. Dans l’enseignement japonais, le professeur montre une technique et explique peu la manière d’y arriver. C’est à l’élève d’apprendre à regarder, de travailler et de trouver la solution. Dans l’enseignement français, c’est différent; le professeur montre, explique une technique et revient autant de fois que nécessaire pour la bonne compréhension des élèves. Il est arrivé que des élèves demandent au professeur «pourquoi on ne fait pas comme ceci plutôt que de faire comme ça?» Aucun élève du Maître n’aurait osé lui faire ce genre de remarque.

Une autre des raisons de non compréhension entre certains élèves et le Maître est la nature même de la pratique. En effet, le maître enseignait un art martial et non pas un sport. Il exigeait une rigueur d’esprit, une rigueur de travail, une volonté de repousser toujours plus loin la résistance physique, un effort constant pour améliorer et parfaire une technique. Il n’acceptait pas que l’on travaille «comme un fonctionnaire» durant ses cours. A titre d’exemple, permettez-moi de vous relater une expérience personnelle: au cours d’une séance d’entraînement, nous étions en train de faire des kions et j’ai reçu comme punition de faire 10 fois le tour de la salle en sauts de canard. Je n’ai jamais su et je n’ai toujours pas compris la raison de cette punition; peut être me suis-je légèrement relevé durant les kions et que cela lui a déplu.

J’ai eu la chance de connaître le Maître et de pouvoir faire la différence entre un vrai Maître et un professeur ou toute autre personne prétendument appelée Maître. Je pourrais citer plusieurs exemples justifiant ces propos mais je me contenterai de la plus importante. J’ai commencé la pratique du Karaté avec l’assistant du Maître de l’époque, Michel HSU, et ce pendant trois ans. Le niveau technique du professeur était très élevé et nous bénéficiions bien entendu d’un enseignement de grande qualité. Cela se voyait surtout à l’occasion de rencontres avec d’autres clubs de karaté pratiquant un style différent. Nous étions souvent plus forts techniquement bien qu’ayant des ceintures inférieures à nos adversaires. Lorsque j’ai obtenu ma ceinture marron, je devais intégrer l’école du Maître car c’était la règle. Ce fut la révélation. Mon premier cours chez le Maître reste gravé dans ma mémoire. Au bout de 30 minutes d’entraînement, le Maître avait remarqué et noté toutes mes erreurs de technique et de position. Il m’avait «pris en main», il redressait une position de bassin par ici, puis la position de la main par là, puis le pied et ainsi de suite pour toutes les techniques abordées ce jour-là. C’est à ce moment que j’ai constaté l’immense différence de niveau technique entre le Maître et son assistant, bien que Michel HSU fût d’un excellent niveau. Les cours de Michel HSU étaient difficiles et épuisants physiquement mais ce n’était rien en comparaison des cours du Maître. Pour répondre à ceux qui n’ont pas apprécié de recevoir des claques de la part du Maître ou de le voir constamment derrière eux, je dirais que ces personnes n’ont pas eu l’intelligence de percevoir la qualité de son enseignement et lorsqu’il se penchait su r le cas d’un élève c’est parce que cet élève ne travaillait pas comme il le souhaitait. La devise du Maître était «mes élèves doivent être les meilleurs lorsqu’ils sont confrontés à d’autres écoles».

Le Maître prenait un soin particulier à donner le meilleur enseignement possible, d’où son intransigeance, son exigence car l’élève représente l’école, l’école représente le Maître et ainsi de suite. Il espérait pouvoir montrer à ces propres Maîtres, au Japon, la qualité de son travail par le biais de la qualité technique de ses élèves.

Le Maître recherchait toujours la meilleure technique c’est la raison pour laquelle il passa du style shotokan au style shotokai. Il faut lui reconnaître un certain courage pour se remettre en question après plusieurs années de pratique dans un style de karaté où il excellait. Mais il trouvait que le style shotokai correspondait plus à la réalité. Au début, le style shotokai n’était pas très éloigné du style shotokan et le Maître a peu à peu peaufiné sa technique pour la rendre telle que nous la connaissons aujourd’hui et foncièrement différente du style shotokan.

J’écris plus haut que l’école n’était pas reconnue par la Fédération Française de Karaté. En effet, le Maître n’a jamais œuvré pour sa publicité ou pour la reconnaissance de son enseignement par la Fédération. Il ne souhaitait pas se plier aux exigences administratives pour le passage de la ceinture noire et des dans. Le problème s’est posé lorsque certains élèves désiraient ouvrir des clubs et enseigner le Karaté style shotokai. Les anciens élèves du Maître l’ont convaincu de changer et se sont arrangés pour qu’il ne soit pas ennuyé par les formalités de passage de grades. Je peux même affirmer que dans les années 1970, le Maître était reconnu, respecté et apprécié par les officiels de la Fédération tant pour la qualité de son enseignement que la qualité des élèves qui se présentaient à la ceinture noire. Dès son arrivée en France, les anciens élèves ont toujours joué un rôle important dans la vie du maître et de son école. Il y a les anciens des années 1958 / 1970 et les anciens des années 1980 et après et c’est volontairement que je ne fais pas de différence car ils ont tous contribué, à un moment ou à un autre, à aider le Maître et le karaté shotokai.

Le Maître est donc arrivé en 1957 chez Henry PLEE pour développer le karaté en France et il enseignait au Dojo rue de la Montagne Ste Geneviève. Leur collaboration a duré peu de temps pour maintes raisons qu’il est inutile de revenir ici. Sauf erreur de ma part, le premier club du Maître était à la Cité Universitaire de Paris puis vint celui de Mercoeur. Et déjà les élèves de l’époque ont aidé le Maître. En effet, au moment de la séparation avec Henry PLEE, le Maître s’est retrouvé dans une situation sociale difficile et précaire et il ne souhaitait pas retourner au Japon. Ils ont donc fondé l’Association MURAKAMI KAI et ont donné au Maître le statut de professeur d’arts martiaux. Le Maître avait ainsi une fonction rémunérée et une couverture sociale lui permettant ainsi de développer le karaté en France. Le Maître était aussi à un certain moment le représentant officiel du karaté shotokai en Europe et avait principalement des clubs en Espagne, France, Italie, Portugal, Suisse.

Les élèves qui ont connu les cours du Maître disaient généralement: «c’est bien avant et après jamais pendant le cours». On ne savait jamais comment le cours allait se dérouler.

Le Maître n’était pas un surhomme et n’était pas parfait, il avait aussi des défauts et un caractère entier mais ceux qui l’ont apprécié lui rendent encore hommage aujourd’hui pour la qualité de son enseignement.

Commentaires sur les photos:

Nous ne possédons pas de film et avons très peu de photos du Maître démontrant une technique car il détestait cela. Sur certaines photos de notre site Internet, vous remarquerez que le Maître a les yeux fermés, en fait il travaillait souvent les yeux fermés pour développer son irimi (anticipation).

Anecdotes:

1) Au cours d’un combat souple avec un élève, une écharde s’est enfoncée dans le pied du Maître et il saignait du pied. L’élève a arrêté le combat et montré le pied ensanglanté du Maître. Le Maître lui a dit: «qui est ce qui saigne vous ou moi?» et il a enfoncé encore plus l’écharde dans son pied et a poursuivi le combat.

2) Au cours d’un stage, le Maître demande à un élève anglais de l’attaquer en oi-zuki. On ne sait pas si l’élève a mal compris ou s’il l’a fait volontairement mais il lui a lancé un mae-geri dans le bas ventre. Le Maître, dans la fraction de seconde suivante a répliqué par un coup de poing et l’élève est tombé KO. Le Maître lui a dit dans son langage particulier «alors vous là, contrôle non?».

3) Cette anecdote m’est arrivée personnellement au cours d’une séance d’entraînement. Nous étions en position kiba-dachi très bas depuis 15 minutes, mes jambes flageolaient et je commençais à me relever. Le Maître est arrivé derrière moi, a tendu le bras et posé sa main sur ma tête pour m’empêcher de me relever. Malgré la puissance de mes jambes, je n’ai jamais pu me relever. Je suis tombé genou à terre.

4) Au cours d’une séance d’entraînement, le Maître trouvait que son bras lui faisait mal; en fait son avant bras était cassé. Son bras s’est retrouvé un mois dans le plâtre. Une fois le plâtre enlevé, il a aussitôt commencé à faire des gedans-barais, histoire de voir si son bras tenait.

5) Dans les années 1960-1970 à Mercoeur, avant chaque cours, le Maître était assis devant une petite table faisant office de bureau et on devait passer devant lui pour qu’il note notre présence. Malheur à celui qui avait oublié sa carte de présence car il recevait par-dessous la table un coup de pied dans le tibia avec la phrase: «alors, vous oublié la carte? et moi, j’ai oublié de venir?».

© Copyright Christian Bert, Dojo Mercoeur, Paris, France