La souplesse en shotokaï

On a coutume de dire que le Shotokaï est un style souple. Mais cette souplesse n’est jamais définie et chacun en développe sa propre conception.

L’acceptation la plus répandue de la souplesse est ce que j’appelle la souplesse de cirque. Est alors considéré comme souple celui qui peut lever la jambe très haut, qui peut faire le grand écart.

Q’un débutant ait cette image de la souplesse est compréhensible mais celle-ci doit avoir évoluée après quelques années de pratique, car ce n’est pas ce type de souplesse qui caractérise le Shotokaï.

Ceci ne veut pas dire que la souplesse de jambe est à dédaigner car elle est fort utile pour la réalisation des nombreux coups de pied.

Un minimum d’assouplissement doit donc être fait dans cette direction. Mais il ne faut pas faire n’importe quoi dans ce domaine. Le but doit toujours être d’assouplir le corps dans son ensemble, et s’acharner par exemple à faire le grand écart entraînera plus d’inconvénients que de bienfaits.

Dans 99% des cas, celui-ci ne peut être obtenu qu’au prix d’une rétroversion du bassin qui entraîne une cambrure exagérée des lombaires qui devra être compensée au niveau dorsal. Résultat: on peut constater une grande raideur du dos et dés épaules chez ceux qui ont forcé pour faire le grand écart.

Il faut toujours faire attention dans les exercices d’assouplissement que les progrès dans une partie ne se fassent pas au détriment d’une autre partie. Le corps doit être considéré dans son ensemble. De la nuque aux pieds, la musculature postérieure ne constitue qu’une seule chaîne. Souvent quant on force dans une position donnée on ne fait que s’acharner sur un maillon. Or c’est la chaîne dans son ensemble qui doit être allongée harmonieusement.

Souvent on ne fait qu’allonger un maillon au détriment d’un autre, ce qui ne fait que déplacer une raideur sans bénéfice global. En forçant on risque aussi quand il y a un point de raideur dans la chaîne, d’allonger les parties les plus souples sans s’attaquer à la partie raide.

Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, douceur fait plus que force et rage. Il faut rester à l’écoute de son corps.

Et il faut savoir qu’une certaine configuration du bassin avec le col du fémur trop court ne permettra jamais une très grande souplesse des membres inférieurs. Dans ce domaine si tout le monde peut progresser certains feront yoko geri plus haut que d’autres mais ce n’est pas pour cela qu’ils travailleront plus souplement et mieux. Car je le répète ce n’est pas, même si elle n’est pas à dédaigner, ce genre de souplesse qui est importante en Shotokaï. Ce qui est important et ce qui devrait caractériser le Shotokaï, c’est la détente et le relâchement dans le mouvement.

Si une certaine souplesse statique a été acquise par une gymnastique intelligemment faite il faudra encore que celle-ci soit conservée dans le mouvement.

Cela nécessite donc que les techniques enseignées soient justes et n’entraînent aucune tension inutile. La justesse de la forme et la coordination devront être poussées à leur maximum. N’oublions pas qu’en Shotokaï l’efficacité des techniques doit venir de la forme. C’est la forme qui crée la force.

Par exemple l’efficacité d’un oi tsuki doit venir d’un zenkutsu correct au moment de l’impact. Dans cette position si l’on pousse le poing avant, la poussée doit se répercuter dans le pied arrière et si l’on pousse avec le pied arrière la force doit être intégralement transmise dans le poing. En cas de forte résistance les zones contractées apparaîtront, ce sont elles qui céderont sous la pression. Bien souvent se sera soit l’épaule soit les lombaires.

Quant une posture est juste, c’est le squelette qui en assure la force permettant au système musculaire d’être relâché. Si par contre une posture ou une technique n’est pas juste il faudra compenser l’erreur par une tension musculaire. Dans ce cas la répétition du mouvement entraînera des tensions et non pas un assouplissement.

Si un bon entraînement fait progresser un mauvais fera régresser. Au lieu d’aller vers un agrandissement des capacités physiques on va vers une restriction de celles-ci. Il n’y aura pas de progression mais au mieux stagnation par l’installation dans une répétition stérile.

La répétition de techniques justes doit dans un premier temps donner un « corps équilibré ». Les grandes traditions martiales qu’elles soient Japonaises ou Chinoises ont un terme pour qualifier cet état. On parlera par exemple de corps « setaï ». Donc un certain niveau technique doit donner un « corps équilibré » et c’est seulement à partir de cet équilibre général que l’on pourra exécuter des techniques plus sophistiquées.

Un progrès en détente entraînera un progrès de la technique et la répétition de techniques justes favorisera le relâchement. La progression est le fruit d’un incessant va et vient entre corps et technique. Plus la technique sera subtile plus elle augmentera les capacités physiques et plus ces capacités augmenteront plus elles permettront d’élever le niveau technique.

Dans un premier temps toute cette progression et cette dynamique positive reposera sur une amélioration du relâchement, sur une meilleure détente musculaire.

Le grand problème pour les occidentaux se situera presque toujours au niveau des épaules. Des épaules larges et musclées sont en occident les signes extérieurs de la force, alors que dans les arts martiaux le siège de celle-ci se situe dans le hara.

Si l’on pense que la force vient de larges épaules et de gros bras, on aura tendance à vouloir développer la musculature et à contracter inconsciemment les épaules. Si par contre en pense que la puissance vient du ventre, on relâchera les épaules pour que la force puisse être transmise sans blocage jusqu’au poing.

Cette orientation pourra alors constituer le début d’un travail interne. Sans entrer dans le détail pour l’instant, on peut relever que celui-ci repose sur un niveau encore plus élevé de relâchement du corps, plus particulièrement du ventre et du diaphragme.

Mais avant d’aborder ce travail interne, je propose un stade intermédiaire. Après les notions de détente et relâchement il est important de développer la notion d’élasticité, car il ne faut pas que le relâchement débouche sur la mollesse.

Qu’est-ce que l’élasticité ?

Un bon élastique est celui qui peut se tendre beaucoup et revenir très vite à sa longueur initiale. Un mauvais élastique pourra soit se tendre beaucoup mais restera détendu soit se brisera si on l’étire. De même pour un muscle si le relâchement devient mollesse, celui-ci sera détendu mais n’aura pas le tonus, l’élasticité qui lui permet de reprendre sa longueur initiale rapidement. Le mouvement sera détendu mais lent et sans force.

Les muscles doivent fonctionner comme des élastiques neufs et donner alors une sensation de vitesse et de dynamisme. Le corps dans son ensemble doit donner cette sensation d’élasticité. Ceci, particulièrement dans les enchaînements, permettra aux techniques de s’enchaîner souplement et sans coupure.

Si le corps est pensé comme élastique, on arrivera facilement à ce résultat car c’est la façon dont on pense qui détermine la façon dont on bouge.

Il faudra aussi pour arriver à cette sensation, bouger d’une façon globale et non pas localement. Cela signifie que pour l’exécution de n’importe quelle technique on s’efforcera de mobiliser l’ensemble du système musculaire et non pas un seul groupe. On obtiendra ainsi force et vitesse.

Par extension la notion d’élasticité qualifiera la différence entre la détente, la contraction et la vitesse pour passer de l’un à l’autre. Les deux domaines-clefs des arts martiaux que sont la vitesse et la puissance sont déterminés par cette différence entre les deux états. Plus la distance entre les deux sera grande, plus il y aura de puissance. On obtiendra alors une force « explosive » et non pas une attaque avec la force des bras ou alors sous forme de poussée comme on le voit quelque fois en Shotokaï.

Cette distance peut être agrandie dans les deux directions : en augmentant la contraction ou en approfondissant la souplesse.

Travailler sur la contraction pourra s’avérer profitable pendant un certain temps aux personnes qui manquent de tonus musculaire. Mais pour la majorité des pratiquants cette direction de travail ne sera pas une source de grand progrès car on arrive très vite à son maximum dans le domaine de la contraction. Par contre dans la direction du relâchement la marge de progression est pratiquement infinie et source de nombreux bienfaits.

Il y a donc un choix à faire, une direction de travail à privilégier et c’est souvent ce choix qui permet de définir le style. En Shotokaï le choix à été fait au départ par Maìtre Egami. On peut même dire qu’il s’est imposé à lui. Il s’agit bien sûr de l’approfondissement de la souplesse. Et pourtant quand on regarde des photos de Maître Egami jeune, on peut dire qu’il avait des dispositions pour la contraction. Mais le travail en force l’avait emmené dans une impasse technique en ce qui concerne l’efficacité.

Ce choix de la souplesse, nous devons donc l’assumer, le développer, l’approfondir et même l’enrichir pour qu’il nous mène techniquement au plus haut.

Pour cela il faudra:

• Dans la gymnastique, privilégier des véritables techniques d’assouplissement plutôt qu’un simple échauffement. Toutes les techniques de gymnastiques dite douce sont intéressantes même si elles ne constituent pas la panacée et même si elles ont l’inconvénient de demander du temps. Mais là c’est à chacun de se prendre en charge et de travailler individuellement en dehors des cours.

Le livre de BERTHERAT sur l’anti-gymnastique constitue une bonne introduction à ces techniques et permet surtout de prendre conscience de ce qu’il faut éviter de faire, à reconnaître les grosses erreurs à ne pas commettre.

• Dans le kihon il faudra veiller à la justesse des techniques. Ce sera donc aux professeurs de faire un travail d’analyse des différentes techniques et de prendre conscience des nombreuses façons d’exécuter une technique. Une technique juste est un mouvement qui ne crée aucune tension inutile, qui s’améliore quand la souplesse et l’élasticité augmentent et qui est puissant et rapide parce que bien coordonné.

Maître Egami lui-même dans un article de la revue Shotokaï Japonaise que nous a traduit Kiyoko Oshima, mettait en garde les pratiquants contre deux dangers qui guettent notre pratique:

• Une souplesse mal comprise qui donne des mouvements de danse et non des techniques de Karaté.
• Une recherche d’efficacité par un retour disait-il aux anciennes techniques contractées.

Les techniques Shotokaï doivent être souples et puissantes et puissantes parce que souples. Et non pas molles, de cette pseudo souplesse qui justifie aux yeux de certains leur inefficacité.

Le Shotokaï est un des plus jeunes styles, il se doit donc d’être le plus dynamique, le plus inventif et le plus ouvert pour devenir un des meilleurs. Il en a le potentiel et il ne dépend que de nous, ses pratiquants pour qu’il le devienne.

© Copyright Patrick Herbert, directeur technique Shotokaï Europe, novembre 2004